Mai 68, l'illusion de la révolution.

Mai 68. Pour beaucoup, c’est le mois de la nouvelle révolution française, celle d’une importante manifestation sociale contre le pouvoir rigide d’une société n’étant pas à l’écoute de la jeunesse. Ce mouvement a tellement marqué les esprits dans la postérité que beaucoup de leaders qualifiés de gauchistes rêvent de le reproduire.

 

Sauf que, comme pour beaucoup d’évènements, la réalité et l’imagination sont deux concepts distincts mis souvent en corrélation allant jusqu’à ternir la première en souhaitant embellir la seconde. 50 ans après cette vaste manifestation, le souhait de fêter le cinquantenaire peut se faire ressentir mais il est important de replacer cet évènement dans son contexte.

 

Mai 68 : quand la jeunesse vous dit m….

 

Contrairement à ce que beaucoup pensent, tout ne s’est pas déroulé en mai. En réalité, la période couvre trois mois, de mars à juin.

 

Tout commence fin mars lorsqu’à l’université de Nanterre, créée au milieu d’un bidonville pour décongestionner le site de Sorbonne, un mouvement étudiant d’orientation de gauche manifeste contre l’autorité universitaire, considérée comme une des facettes de la société autoritaire à travers la domination de l’ordre conservatrice. En réponse aux actions étudiantes, l’université est fermée le 2 mai, provoquant le déplacement du mouvement vers la capitale.

 

L’intervention de la police le 3 mai provoque une vaste vague d’arrestation mais surtout intensifie le mouvement à travers le soutien des autres étudiants. Au fil des jours, les tensions s’intensifient, débouchant sur des combats de rue et la construction de barricades par les manifestants.

 

Le 13 mai, la manifestation prend une tournure plus sociale lorsque les syndicats appellent à la grève en soutien aux étudiants face aux violences policières. Selon les chiffres, le nombre de grévistes était compris entre 7 et 10 millions.

 

Prônant d’abord l’intervention policière, le gouvernement décida de tenter l’apaisement via des propositions. Le Président, Charles de Gaulle, proposa un référendum sur une réforme universitaire en mettant son poste en jeu, sans succès. Son premier Ministre, Georges Pompidou, proposa des négociations, dites de Grenelle, qui marquèrent la division entre les étudiants, souhaitant un changement dans la société, et les grévistes, souhaitant de meilleures conditions de travail.

 

Le 27 mai, les accords de Grenelle sont conclus pour une revalorisation salariale mais tous les grévistes ne l’acceptent pas et appellent au maintien de la grève. De plus, à Charléty, un meeting est organisé pour discuter d’une révolution mais resta sans succès en raison de la désunion de la gauche suite aux désaccords entre les socialistes et les communistes.

 

A partir du 30 mai, le gouvernement reprend la main via le soutien des gaullistes appelant au retour de l’ordre puis la victoire de la droite majoritaire lors d’élections législatives anticipées face aux socialistes et aux communistes qui ont subis une débâcle. Le mouvement se termina vers la mi-juin lorsque les dernières grèves ont cessé.

 

Pour résumer, Mai 68 est l’incarnation du ras-le-bol généralisé d’une société qui semble sourde à sa propre évolution. Les étudiants incarnent en effet l’avenir de celle-ci et savent mieux que quiconque les problèmes que le changement ou le conservatisme provoquent si ceux-ci ne sont pas pris en considération par le gouvernement.

 

Cela démontre aussi que le tout répressif, aujourd’hui revenu à la mode, ne peut fonctionner sans solution civile derrière. Croyant qu’une charge de CRS calmerait les étudiants, le gouvernement n’a fait que jeter de l’huile sur le feu, renforçant non seulement les effectifs des manifestants mais surtout apporta à ceux-ci un soutien de taille, les syndicats.

 

Que serait Mai 68 sans cette vague de grèves qui paralysa le pays ? Les travailleurs savent eux-aussi détecter les signes d’une société malade, lorsque les conditions de travail ne correspondent plus à la réalité qu’ils doivent affronter au quotidien.

 

A y regarder de plus près, Mai 68 ne semble n’avoir profité qu’aux travailleurs. Pourquoi considérer alors cet épisode de la France comme un évènement majeur ?

 

Le poids des symboles dans une société en crise

 

Il ne faut pas regarder les résultats pour dresser le bilan de Mai 68 mais les causes qui ont conduit à son aboutissement. Il arrive un moment où la population, ou une partie de celle-ci, ne peut plus accumuler les maux que connait la société. Lorsque le mécontentement se fait ressentir, il est normal qu’un jour ou l’autre, la personne en colère se doit de l’exprimer.

 

Mais jamais une telle intensité s’est déchainée en un mois. Cela démontra qu’un changement fut nécessaire. Même si les étudiants n’ont pas obtenu gain de cause au cours de cet évènement, les conséquences sont apparues à plus long-terme.

 

Si le mouvement n’a pas abouti, c’est en raison du manque d’unité non seulement entre étudiants et grévistes, en raison de la divergence dans leurs revendications, mais aussi entre les deux formations de gauche, les socialistes et les communistes, qui disposaient chacun de leur vision de la société sans avoir le soutien de celle-ci dû au manque de contrôle des foules et la crainte de la récupération politique de leur mouvement. C’est cette division qui a permis au gouvernement de reprendre l’avantage.

 

Paradoxalement, chaque partie trouvera son compte après Mai 68. De Gaulle démissionne en 1969, les travailleurs ont de meilleures conditions salariales, les socialistes formeront le Parti socialiste moderne et accepteront de former une liste commune avec les communistes. François Mitterrand, qui espérait une victoire en 1968, devra attendre 1984 pour voir ses ambitions se concrétiser. Certains analystes considèrent même que Mai 68 a permis l’apparition de nouveaux mouvements tels les féministes et les écologistes en raison de la transformation de la société à posteriori.

 

Un mouvement qui reste songeur

 

C’était il y a 50 ans et pourtant ces manifestations restent encore dans l’esprit de beaucoup de Français qui réclament un nouveau Mai 68 pour dénoncer les mesures gouvernementales ou simplement pour fêter le cinquantenaire. Mais Mai 68 restera Mai 68 pour diverses raisons.

 

D’abord, le contexte. Pour rappel, il s’agissait d’un mouvement étudiant ayant pris une tournure plus violente suite à l’intervention de la police qui provoqua l’effet inverse en renforçant les étudiants et en incluant les syndicats  qui tenaient eux aussi à manifester leur mécontentement. Mai 68 ne se fabrique pas, il se fabriqua de lui-même.

 

Ensuite, l’ampleur. Serait-il possible de réorganiser une manifestation de plusieurs millions de travailleurs alors que réunir au moins un million est déjà considéré comme un exploit? Une fois encore, il faut une vraie raison, un vrai ras-le-bol comme en 1968 pour qu’un tel mouvement puisse réapparaitre.

 

Enfin, Mai 18 sera comme Mai 68 : union de façade, division dans les revendications, divergences entre gauchistes. C’est à la limite l’un des seuls points communs : tous critiquent la société mais personne ne dispose d’une volonté commune pour la changer. Les étudiants émettront des revendications sur leurs conditions d’étude, les travailleurs vont réclamer de meilleures conditions de travail, et les partis de gauche en profiteront pour propager leur pub électorale.

 

Mai 68 restera donc un symbole qui ne se réalisera jamais à nouveau. Encore faut-il le récupérer intelligemment. Comble de l’histoire, à Nanterre, des étudiants bloquent leur université pour protester contre la loi ORE (Orientation et Réussite des Etudiants) visant à restreindre l’accès universitaire via une procédure de sélection pour diminuer le taux d’échec en première année. Certains étudiants évoquent l’esprit de Mai 68 dans leur combat mais cette apparition spectrale n’est que purement symbolique. Il ne s’agit pas de dépaver les rues de Paris pour contester la société mais de dire non à une loi dont beaucoup d’étudiants ignorent son contenu.

 

On est donc très loin de ce mois spécial récupéré de gauche à gauche (peut-être à droite aussi).

 

Source

 

BIOURGE Céline, Pour le patron de Libération, beaucoup ont une idée complétement fausse de Mai 68, RTBF, 3 mai 2018, https://www.rtbf.be/info/societe/detail_pour-le-patron-de-liberation-beaucoup-ont-une-idee-completement-fausse-de-mai-68?id=9908190

Evénements de mai 1968, Larousse, http://www.larousse.fr/encyclopedie/divers/%C3%A9v%C3%A9nements_de_mai_1968/131140

 

LIVOIS David, A la fac de Nanterre, certains veulent croire à l’esprit de Mai 68, Le Parisien, 2 mai 2018, http://www.leparisien.fr/hauts-de-seine-92/a-la-fac-de-nanterre-certains-veulent-croire-a-l-esprit-de-mai-68-02-05-2018-7694664.php