On n'ira pas tous au paradis fiscal.

C'est le séisme sur la planète finance, ou sur la planète tout court. Après le Swiss Leaks, le Lux Leaks et les Panama Papers, voici une nouvelle révélation de masse réalisée par des journalistes d'investigation : les Paradise Paper. Un nom de rêve qui cache pourtant une machine infernale à base d'accords surfant dangereusement sur la ligne de la légalité.

 

Bien que les enquêtes n'en soient qu'à leur début, les premières révélations font déjà froid dans le dos. Pour résumer, il s'agit de la révélation de plus d'une dizaine de millions de documents tout format, provenant principalement de la société Appleby (basée aux Bermudes) et d'autres sociétés offshores, qui sont épluchés par des centaines de journalistes dans le monde collaborant avec l'ICIJ (International Consortium of Investigative Journalists).

Personne n'est épargnée. Tous les milieux sont touchés par ce nouveau scandale : des sociétés (Apple, Facebook, Engie, Nike, Whirlpool), des célébrités (Lewis Hamilton, Shakira, Madonna, Bono de U2), des personnes d'affaires proches de Donald Trump et de Vladimir Poutine pour ne citer qu'eux, et des personnes politiques dont la Reine d'Angleterre!

 

Une fois de plus, ces révélations montrent comment des personnes fortunées se permettent de maximiser leurs bénéfices en payant le moins d'impôt possible, parfois légalement, parfois illégalement.

 

Evasion, fraude, éludation, optimisation : on s'y perd dans le paradis fiscal

 

Ce qui provoque l'étonnement est la complexité des montages financiers pour permettre d'éviter l'impôt. Ceci n'est pas à la portée de tous. Il faut engager des experts fiscalistes fins connaisseurs des tuyaux pour planquer l'argent dans des endroits dits "paradis fiscaux" où le taux d'imposition est plus faible voire nul mais aussi des juristes chargés de déterminer si les opérations sont légales ou contournables, la loi n'étant pas infaillible.

 

Une fois bien renseigné, le client peut commencer à placer son argent en lieu sûr. L'évasion fiscale peut commencer. Grâce aux différents montages comprenant des sociétés offshores bidons ne servant que de boites aux lettres, le transfert d'argent peut s'opérer vers le paradis fiscal. L'optimisation vise à bénéficier du plus bas taux d'imposition possible, l'éludation vise carrément à l'éviter. Attention, nous sommes encore dans la légalité tant que les revenus sont déclarés. Ce qui s'apparente à la fraude fiscale est la non-déclaration des revenus. Dans ce second cas, c'est tout à fait illégal car cela peut s'apparenter à la pratique d' une activité  aux pratiques peu éthiques auxquels les paradis fiscaux servent à blanchir l'argent ou à le planquer en déclarant un revenu plus faible.

 

Expliquer est difficile car il faudrait appeler un expert en droit de la fiscalité pour mieux décortiquer l'affaire, d'où le problème du simple citoyen de mélanger l'évasion et la fraude. Et il n'a pas tort. Les mécanismes sont réglés selon les lois en vigueur, analysées et scrutées à la loupe, pour s'assurer que le fisc ne puisse rien reprocher au client ou du moins jouer sur le flou juridique pour tanguer entre le légal et l'illégal.

 

Pour le citoyen, ce n'est pas une question de justice institutionnelle mais morale. Quelque soit la terminologie, l'évasion fiscale vise à profiter des failles du système juridique pour payer moins d'impôts et donc ne pas participer au financement de l'Etat. Pire, faute de rentrées financières, le gouvernement n'a d'autres choix que de prendre des mesures de réductions sociales et de hausse d'impôts. Augmenter les taxes pour combler les pertes de ceux qui ont fuit parce que celles-ci étaient déjà élevées, le beau paradoxe tombant dans le cercle vicieux! La principale revendication face à toute forme d'évasion est la nécessité d'une meilleure justice fiscale où chacun paie ce qu'il doit au fisc comme le ferait tout bon père de famille.

 

La justice injuste du paradis fiscal

 

Cet idéal n'est pas simple à réaliser et ce pour plusieurs raisons.

 

D'abord, la légalité. Pour rappel, toutes les manœuvres visant à payer moins d'impôts ne sont pas illégales. Certaines sont au contraire justes si elles sont classifiées comme une possibilité de déductibilité comme par exemple le don à des œuvres caritatives (Loi Coluche en France). En Belgique, il existe des avantages fiscaux dont les renseignements se trouvent sur le lien suivant :  https://finances.belgium.be/fr/particuliers/avantages_fiscaux/.

 

Cela est pareil pour l'évasion fiscal à la principale différence que l'Etat ne vous dira jamais comment en bénéficier. Pas question d'inciter les contribuables à éluder l'impôt! Contrairement aux croyances, ce ne sont pas seulement les riches et les puissants qui ont le monopole de ce luxe. Techniquement, n'importe qui peut la pratiquer tant qu'il est bien conseillé, entouré et prudent.

 

La légalité s'explique par une autre raison, la concurrence. Suite à la mondialisation, il est possible de transférer son argent sur un compte à l'étranger tant que les conditions légales sont respectées. Certaines destinations sont très attractives, d'autres relèvent de raisons personnelles (déménagement, investissement, etc.). Il n'est donc pas logique de bloquer tous les transferts d'argent vers un compte à l'étranger au nom de la lutte contre la fraude. Cela dit, il existe des limites fixées par la loi et tout mouvement suspect sera aussitôt contrôlé puis sanctionné s'il s'avère qu'il s'agit bien d'une tentative de fraude. En attendant, les flux financiers continuent de filer d'une banque à l'autre à travers le monde, permettant de réaliser des économies.

 

Certaines entreprises vont plus loin : plutôt que regarder vers une niche, pourquoi ne pas créer la sienne? Rappelez-vous du Lux Leaks, cette révélation où le Luxembourg fut accusé d'avoir négocié avec des multinationales pour leur offrir des avantages fiscaux en échange de leur implantation. Bien que les accords soient légaux, cela fut considéré comme de l'évasion fiscale sur base de discrimination entre les petites et moyennes entreprises devant payer le taux plein et les multinationales bénéficiant de réductions parfois proche du 0% malgré qu'elles engrangent des bénéfices plus élevées.

 

Enfin, l'évasion fiscale répond à la volonté de maximiser les bénéfices tout en réduisant les pertes. Économiquement, l'impôt est considéré comme une perte sur le chiffre d'affaire réalisé. S'il est possible de diminuer le coût de la fiscalité, pourquoi s'en priver?

 

La morale sous jugement au paradis fiscal

 

A l'heure des médias sociaux et des journaux d'investigation, se faire débusquer lorsqu'on occupe une place à haute responsabilité politique se paie cash. La population apprend que vous détenez un compte en Suisse? Elle réclamera votre tête ou du moins votre démission.

 

Le peuple n'aime pas payer son impôt honnêtement tout en apprenant que ceux qui leur demandent de réaliser des efforts se permettent des largesses. Le ressentiment prend du volume avec les grosses sociétés ne payant peu d'impôt suite à des optimisations et des arrangements. A cela s'ajoute les iniquités salariales où les plus hauts salaires sont moins taxés que les plus bas, l'incohérence au zénith du plafond fiscal.

 

Le citoyen réclame aujourd'hui une meilleure justice sociale. Chacun paie ce qu'il doit payer, c'est déjà une chose. Ce qu'il doit contribuer équivaut à ce qu'il gagne, c'en est une autre.

 

Les sociétés bénéficient de régimes différents selon le statut, les accords et les aides financières passant par la déductibilité (intérêts notionnels par exemple). Le principe est, contrairement aux citoyens qui s'y trouvent déjà, qu'il est nécessaire d'attirer les investissement de l'étranger et les multinationales en rendant le taux d'imposition attractif, quitte à devenir le dindon de la farce se faisant pigeonner. Les entreprises s'installent pour seulement profiter des avantages pour ensuite partir une fois le bénéfice consommé pour s'implanter vers un site plus avantageux.  

 

L'enfer du paradis fiscal

 

Le paradis n'est point accessible à tous. Le bonheur des uns fait le malheur des autres. Tout cet argent qui s'en va dans les paradis fiscaux ne rentre pas dans les caisses de l'Etat qui perçoit légitimement l'impôt.

 

Or, sans cette rentrée financière, c'est toute la collectivité qui paie! Le gouvernement dispose d'un budget comparable à celui d'une entreprise avec des coûts pour entretenir les services publics et des recettes provenant des exportations et des taxes. Les entreprises, quelque soit leur taille, doivent payer des impôts et des cotisations. Or, lorsque celles-ci ne le font pas, ce sont des recettes en moins dans les caisses de l'Etat. Face à ce manque, le gouvernement n'a d'autres choix que de prendre des mesures impopulaires pour diminuer les coûts et augmenter les recettes. Bien qu'il soit difficile de quantifier l'impact de l'évasion et de la fraude fiscales, les analystes et les élus politiques convergent vers les milliards de bénéfices, de quoi apporter une sérieuse bulle d'oxygène pour boucher le trou budgétaire.

 

A cela s'ajout le sentiment d'injustice sur l'inégalité de l'imposition où seuls les plus grands échappent au taux fixé. Que ce soit par montage fiscal, arrangement ou délocalisation des activités pour ne maintenir que le siège social, les autres entreprises ne bénéficiant pas de telles mesures se sentent lésées et surtout plus fragiles face aux aléas instables de la conjoncture économique.

 

Enfin, ce phénomène accentue un autre sentiment : celui de l'impuissance des pouvoirs politiques. Pour rappel, l'évasion fiscale est légale car elle s'appuie sur des failles législatives. Donc, les politiques peuvent dénoncer mais pas intervenir directement dans les affaires, comme pour les licenciements de masse. Une fois encore, la multinationale dispose de marges de manœuvres la rendant libre de toute action immorale sans que le gouvernement ne puisse l'interdire tant que la loi ne le leur permet pas.

 

Peut-on dévaliser le paradis fiscal?

 

C'est le souhait de beaucoup d'entre nous. Rapatrier l'argent placer dans les paradis fiscaux et s'assurer que ceux-ci disparaissent un jour pour ne plus jamais exister comme l'ont promis de nombreuses personnalités politiques. Sauf qu'entre la volonté et la réalité, un fossé énorme sépare les deux.

 

Il ne faut pas oublier qu'un paradis fiscal est un Etat ou une entité étatique qui pratique un taux d'imposition faible voire nul et permet une sécurité via le secret bancaire. Or, ceci ressort de la diplomatie pour signer un accord bilatéral. Et encore, ceci est loin de la réalité.

 

Déjà, il faut définir ce qu'est un paradis fiscal. Comme le terrorisme, les Etats se mettent d'accord sur le fond mais pas sur la forme. Ils ont une idée floue du problème mais pas une vision commune de celui-ci. Ainsi, il existe bien des listes noires (et grises) de pays et régions entrant dans cette catégorie mais celles-ci changent selon les performances affichées ou simplement la volonté des Etats. Une solution serait de fixer une liste claire reprenant les paradis fiscaux sur base de critères clairs, cohérents et surtout acceptés par tous les acteurs signataires.

 

Les Etats ont les outils pour lutter contre eux, encore faut-il avoir la volonté pour les employer efficacement. Il serait facile d'interdire les transactions financières vers les pays et régions listés, sauf que ce n'est pas le cas en raison des zones de transit permettant de contourner les interdictions et la possibilité d'investir suite à la mondialisation des flux financiers. S'il n'est pas possible d'exercer une influence sur les flux, pourquoi ne pas jouer la carte de l'impôt?

 

 

Augmenter l'impôt risquera d'aggraver le problème de l'évasion. Se voulant incarner Robin des Bois, le gouvernement deviendrait le Duc de Nottingham volant les revenus et donc inciterait davantage à l'exode fiscale. Alors, diminuons l'impôt. Ce n'est pas non plus la meilleure des solutions, les multinationales bénéficient déjà d'une réduction via des accords et des mécanismes d'incitation à l'implantation. Leur offrir de nouvelles ristournes reviendrait à jouer leur jeu de la concurrence internationale (une des raisons du maintien des paradis fiscaux) où ils décideront de placer des sociétés juste pour bénéficier des avantages avant de s'en aller une fois qu'ils trouveront un régime plus profitable. De plus, moins d'impôts, ce sont moins de recettes pour les caisses de l'Etat, le gouvernement serait donc obligé de compenser par d'autres mesures. Au final, jouer sur l'impôt ne sert à rien? C'est difficile à dire. Selon la courbe de Laffer (du nom de l'économiste l'ayant créée), un taux d'imposition trop élevé entraîne des pertes financières par rapport à un taux plus faible. Le souci est qu'il est difficile de fixer le taux parfait en raison de nombreux paramètres et de la concurrence internationale.

Le véritable problème est la légalité des actes et plus particulièrement les failles permettant d'échapper à l'impôt national. Face à cela, les gouvernements touchés par ce phénomène doivent renforcer la législation concernant les transferts financiers vers les paradis fiscaux. Une interdiction pure serait dangereuse diplomatiquement et inciterait à la fraude fiscale, la solution serait un durcissement de la loi pour condamner l'objectif de l'évasion fiscale en considérant cette action comme criminelle.

 

Bien entendu, cela semble facile mais ce n'est pas le cas car les avocats et les experts de la finance ont déjà imaginé divers stratagèmes pour rendre opaques les opérations financières et surtout les gouvernements se disant en guerre contre les paradis fiscaux n'y ont pas mis les moyens, ont baissé les bras face à l'ampleur de la tâche ou pire, ont fermé les yeux en raison de la concurrence internationale où les paradis fiscaux sont perçus comme des solutions pour doper leurs propres entreprises et tant pis pour les pertes engendrés par ce manque de rentrée financière.

 

Enfin, la fraude fiscale doit être punie car elle est illégale. Les gouvernements doivent aussi y mettre les moyens. Certes, cela ne réglera pas le problème des paradis fiscaux mais ce sera un grand pas. Pour cela, les services existants doivent disposer des moyens financiers, légaux et en personnel pour assurer la qualité de la traque aux fraudeurs, surtout les plus grands, quitte à collaborer avec des journalistes d'investigation sachant pousser l'enquête jusqu'au bout. Et si des têtes politiques doivent tomber pour fraude fiscale, qu'il en soit ainsi, cela servira d'exemple.

 

Toute cette analyse démontre que l'Homme veut toujours gagner plus et usera de toutes les possibilités qui lui seront offertes. Le transfert d'argent vers les paradis fiscaux en est une. Nous aurons beau employer tous les outils à notre disposition pour endiguer ce phénomène, jamais nous ne vaincrons la cupidité humaine de s'enrichir par tous  les moyens.

 

En attendons, les paradis fiscaux ne seront pas prêts de s'éteindre. Les Paradise Papers sont une nouvelle occasion de montrer l'ampleur de ce phénomène et quelque chose me dit qu'ils ne seront pas la dernière vitrine.

 

Sources :

 

Actualités du droit belge, La fraude fiscale, http://www.actualitesdroitbelge.be/droit-penal/droit-penal-abreges-juridiques/la-fraude-fiscale/la-fraude-fiscale

 

BARUCH Jérémie, CHASTAND Jean-Baptiste, MICHEL Anne, VAUDANO Maxime, Un and d'enquête, 96 médias : qu'est-ce que les "Paradise Papers"?, Le Monde, 5 novembre 2017,  http://www.lemonde.fr/paradise-papers/article/2017/11/05/un-an-d-enquete-96-medias-qu-est-ce-que-les-paradise-papers_5210520_5209585.html

 

beCompta, Evasion fiscale, https://www.becompta.be/dictionnaire/evasion-fiscale

 

DE MAILLARD Jean, Un grand vent de moralisation, Le Monde diplomatique, août-septembre 2013, https://www.monde-diplomatique.fr/mav/130/MAILLARD/51558

 

ICIJ, About the Paradise Papers Investigation, 5 novembre 2017, https://www.icij.org/investigations/paradise-papers/about/

 

Les Restaurants du Cœur, Loi Coluche, https://www.restosducoeur.org/loi-coluche/

 

 

MUCHERIE Mathieu, Courbe de Laffer, Melchior, http://www.melchior.fr/notion/la-courbe-de-laffer