L'Histoire, un livre modulable à volonté.

Après m'être inspiré d'une vidéo pour réaliser le dernier article, je m'attarderai cette fois-ci sur un livre. Les Cloches sonneront-elles encore demain? est un ouvrage écrit par Philippe de Villiers, eurodéputé et chef du parti souverainiste Mouvement pour la France. Son opinion sur la société française s'est bien retranscrite dans son livre : il critique l'ouverture des citoyens et du gouvernement envers l'Islam en les accusant de favoriser l'islamisation du pays. Selon lui, tous les musulmans ne viennent en Europe que pour islamiser la société. Face à cela, il prône le retour aux racines françaises et chrétiennes via l'amour de l'histoire de la France, de sa culture chevaleresque et peut-être même du temps béni des colonies où régnaient la prospérité et la puissance mondiale.

 

L'Histoire, cette branche d'étude permettant de sonder le passé afin de comprendre le présent pour forger un futur sans répéter les erreurs du passé. Mais certaines personnalités politiques n'ont plus foi en l'avenir à tel point qu'ils prônent le retour en arrière, à l'époque de la grande puissance coloniale où vivait une population homogène. A quoi sert-il de regarder en arrière en espérant y retourner? A rien, sauf à gâcher le futur en ne comprenant pas l'évolution dans le monde.

 

A chacun son histoire et son point de vue

 

Tout d'abord, il est important de distinguer les deux facettes de la vérité : la vraie et l'historique. La première reprend ce qu'il s'est réellement passé tandis que la seconde est une version de la première étudiée et retranscrite par les historiens pour former l'Histoire. Celle-ci se divise aussi en deux facettes. Si elle est utilisée pour transformer la vérité historique en vraie sans possibilité de remise en cause, il s'agit de la propagande. Lorsqu'elle tente d'expliquer ce qu'il s'est passé pour tenter de se rapprocher le plus possible de la vérité vraie, c'est une étude.

 

Comment distinguer l'étude de la propagande?

 

·         Le point de vue : Si un acteur, un groupe ou une population sont constamment stigmatisés et un autre glorifié, c'est de la propagande. La neutralité est un critère important car chaque camp a sa part d'ombre et une étude vise donc à les démontrer puis à les expliquer;

 

·         Les termes : Chaque mot a son importance. Même s'il peut exister un débat sur les termes à employer, certains d'entre eux laissent peu de place au doute. Il peut s'agir d'exagérer ou d'atténuer un événement pour rejeter la totalité des crimes sur l'autre;

 

·         Les sources : Il s'agit des données utilisées par l'historien pour réaliser son travail. Elles peuvent être de première qualité si elles proviennent du terrain ou secondaire s'il s'agit de travaux réalisés. Or, la sélection est primordiale pour s'assurer d'utiliser celles qui correspondent à ce qu'on désire. L'étude privilégiera la neutralité, la propagande prendra celles qui favoriseront son parti.

 

Mais surtout, il faut avoir l'œil critique. C'est au lecteur de distinguer la différence, de se poser des questions et désirer en savoir plus. Si cela n'existait pas, les études n'existeraient pas pour se rapprocher de la vérité vraie. Nous serions forcés de répéter la même histoire aux générations futures sans savoir expliquer les raisons.

Ne croyez pas que la propagande et le verrouillage de l'Histoire ne sont que l'œuvre des dictatures. Pourquoi certains documents cautionnant les politiques passées sont-ils encore classifiés secrets ou le sont redevenus? La peur du passé est très forte à tel point que plusieurs gouvernements successifs préfèrent fermer les yeux plutôt que d'assumer les actes de leurs prédécesseurs.

 

Une autre solution est d'avouer les fautes en espérant les enterrer à tout jamais dans l'oubli, le pardon ou le déni partiel. En 2015, l'ouvrage polémique Mein Kampf est tombé dans le domaine public. Un groupe de chercheurs de l'université de Munich a souhaité le rééditer sous la forme d'un ouvrage historique afin d'expliquer ce qui a poussé l'auteur à promouvoir la haine antisémite. D'abord favorable, le gouvernement munichois a fait machine arrière sous la pression d'Israël en interdisant toute réédition. Il est dommage de cadenasser un ouvrage étant la source du néonazisme d'aujourd'hui, cela aurait permis de mieux comprendre cette branche de l'extrême droite pour mieux lutter contre. En attendant, des versions pirates circulent librement sur le Net pour mieux embrigader les esprits faibles.

 

Les islamophobes disent de même pour le Coran, reléguer au même titre que l'ouvrage cité précédemment. Le problème est identique : sans interprétation officielle, chacun peut prétendre au titre d'interprète en s'autoproclamant "source de vérité". Tout livre religieux comporte des épisodes historiques qui ont influencé les écrits.

 

Les interpréter sans se renseigner vise à réaliser de la propagande de l'ignorance afin d'influencer ceux qui ne les ont pas lu pour mieux les manipuler en leur disant qu'il n'est pas nécessaire de le faire étant donné que quelqu'un l'a fait pour vous. Les prêcheurs de haine s'autoproclament "source de vérité" en déformant l'Histoire et les livres à leur guise. Parmi les terroristes et les kamikazes, combien ont lu le Coran? Et parmi ceux qui l'ont lu, combien ont pris la peine de réfléchir par eux-mêmes? L'ignorance a encore gagné.

 

Ma réponse à l'auteur

 

Bien que je fus pessimiste à la lecture du titre et de son auteur, le livre fut finalement intéressant pour comprendre ce que pense un homme politique sur l'Islam en Europe et c'est pour cette raison que j'ai décidé de lui répondre en écrivant dans cet article mon avis.

 

L'auteur développe pour thème principal l'islamisation de la France. On entend par islamisation le processus visant à modifier une société en s'attaquant à la culture, aux valeurs et aux institutions pour les remplacer par tout ce qui a attrait à l'Islam selon ceux qui la mettent en place. Ainsi, le Christianisme disparaîtrait au profit de l'Islam comme religion unique tandis que la loi se baserait exclusivement sur la Charia et le Coran, comme c'est le cas en Arabie saoudite où la constitution saoudienne défend la supériorité de la loi islamique. Bien que le livre fut difficile à lire en raison des valeurs divergentes entre l'auteur et moi-même, il fut intéressant de comprendre le message d'alerte de celui-ci. Si nous ne faisons pas attention aux intégristes, leur projet d'islamisation réussira à long terme.

 

Cependant, ceci n'est qu'une facette d'un problème bien plus large dans nos sociétés européennes : l'absence de frontières entre, d'une part, les valeurs identitaires de chaque individu et la Loi, et d'autre part entre les valeurs nationales fondatrices du pays et les cultures étrangères apportées par l'immigration. Ce problème est pointé du doigt par les médias lors de faits d'actualité et les décisions électorales visant à brasser le plus d'électeurs.

 

Là où je suis en désaccord avec l'auteur est l'agrégation des éléments négatifs en une généralité où tout décision et accord en faveur des musulmans sont considérés comme de l'islamisation. Il ne s'agit pas d'une stigmatisation car il ne considère pas les musulmans comme une menace directe mais d'une simplification communautaire où chaque musulman obéit à une logique identique d'invasion silencieuse sans vérifier leur degré de fidélité envers la France et l'Islam (un musulman pourrait ainsi se sentir plus français que musulman). En restant dans cette optique simpliste, qu'est-ce que l'auteur prône? La paranoïa à chaque concession? Le maccarthysme antimusulman dans un contexte terroriste tendu?

 

Lorsqu'il critique l'Union européenne pour être responsable de la destruction des valeurs nationales des pays, il faut rappeler que sa création a pour but d'empêcher les Etats-membres de basculer dans le renfermement nationaliste pour éviter les erreurs du passé. Eviter le fascisme et le protectionnisme. Il ne faut pas oublier que rien n'est définitivement acquis. A tout moment, une démocratie peut basculer dans la dictature silencieuse et la France est bien placée en raison de son système semi-présidentiel où le chef de l'Etat dispose de nombreux pouvoirs.

 

Quant à Nicolas Sarkozy, moi non plus je ne l'apprécie guère mais pas pour les mêmes raisons que celles évoquées dans le livre. Ce n'est pas seulement l'ami du Qatar, c'est l'amoureux de l'argent et du pouvoir, ce qui expliqua son retour en politique (puis sa nouvelle retraite anticipée). Il sait comment surfer sur les tendances populaires et populistes. Ainsi, pour séduire les conservateurs et l'électorat de l'extrême droite, il n'hésita pas à promouvoir une politique islamophobe et anti-immigration. Comment ? En assimilant l'immigration à l'insécurité, en faisant de la traque aux sans-papiers la mission principale de la police et en organisant deux débats sur l'identité nationale et sur la laïcité (en sachant que ce n'est pas le Catholicisme qui pose problème, je vous laisse deviner contre quelle religion il fut instauré). Quant au Qatar, Sarkozy n'y voit qu'une manne financière grâce aux conférences onéreuses qu'il donne.

 

Je tiens à préciser que le Qatar ne cherche pas seulement la propagation de l'Islam, il souhaite surtout renforcer sa politique étrangère afin de s'affirmer en tant que petite puissance régionale face à l'Arabie saoudite et diversifier ses investissements pour éviter de se reposer sur ses énergies fossiles, comme l'a fait le Venezuela.

L'auteur a posé le problème, quelles solutions y apporte-il? Selon lui, il faut fédérer les Français à travers son histoire glorieuse, glorifier le passé tout en évitant de la remettre en cause sous peine de la détruire, convaincre voire obliger la jeune génération à s'intéresser à la culture française tout en rejetant celle des autres et de la modernité. A en lire les pages, l'auteur donne l'impression qu'il prône l'immobilisme historique et culturelle car la recherche de vérité qu'opère les historiens vise à dénigrer la splendeur française du Moyen-âge et de la Renaissance. A l'auteur, je lui pose la question suivante : faut-il vivre dans le passé pour éviter un futur que nous ne souhaitons pas apparaître tel qu'il est construit par le présent?

 

Et en parlant du passé, il considère les Françaises comme des femmes mieux traitées que quiconque avant l'arrivée des musulmans. C'est oublier que la femme fut considérée comme citoyenne de seconde zone par rapport à l'homme. Comme dans beaucoup de pays, elle obtient tardivement le droit de vote, est devenue indépendante depuis quelques décennies mais souffre encore de discriminations et de préjugés. Les valeurs ont changé. La femme bien-traitée n'est plus celle qui bénéficie de la courtoisie masculine chevaleresque mais l'indépendante souhaitant être traitée d'égal à égal sans être vue comme un objet ou un automate. Vous aimez citer des sourates prêchant la maltraitance et la soumission des femmes mais aviez-vous aussi lu celles qui ordonnent le respect et reconnaissent leur valeur ajouté à l'homme? Et que pensez-vous des magazines, des séries, des métiers et des célébrités faisant l'apologie de la femme-objet à 75% de silicone, 15% de Photoshop et 0% de cerveau? N'est-ce pas aussi insultant que le Coran? Et n'oubliez pas non plus de remettre cet ouvrage dans son contexte historique et culturel où la femme fut souvent perçue comme la mère et la maîtresse de maison, ce qui explique en partie l'autorité masculine sur elle (je ne m'avance pas trop sur la question, je ne suis pas historien du monde arabe).

 

Pour finir sur ce point, il veut défendre la langue française face aux autres langues intrusives appelées l'anglais et l'arabe. Pour lui, ne plus se focaliser sur une seule langue dans l'enseignement revient à la mettre en danger et à la déformer via l'incorporation de nouvelles terminologies. Sauf qu'il oublie que la langue est comme la société : elle évolue avec son temps. Les langues se sont inspirées mutuellement, des mots de l'une se sont retrouvés dans l'autre et inversement et le français se doit aussi d'évoluer. L'Histoire a démontré qu'une langue s'impose sur les autres lors des conquêtes et la France est bien placée pour le savoir. Mais avec la mondialisation, l'unilinguisme n'est plus permis, le français a laissé place à l'anglais pour traiter des affaires internationales, il est donc normal que la jeune génération apprenne de nouvelles langues si elle désire voyager.

 

Une de mes critiques en lien avec le thème de l'article est la manipulation historique en prenant des épisodes jugés en phase avec les idées personnelles pour les fabriquer en vérité historique. Un exemple cité plus haut est le point de vue de l'auteur sur la question de la femme selon les sourates et les événements  qui la défavorisent sans souligner l'existence du respect que l'Islam leur offre. Est-ce pour autant de la propagande? Si l'auteur cherche à vous convaincre qu'il a raison sans nuancer ses propos, alors oui, son livre est de la propagande.

 

L'autre solution prônée dans le livre est le rejet de l'égalité religieuse au nom de l'ancienneté chrétienne. Pris à la lettre, cela signifierait que le Catholicisme bénéficierait d'une discrimination positive en accordant des avantages aux églises, aux associations catholiques tout en refusant les projets musulmans. Mais n'est-ce pas remplacer une religion par une autre dans une république se voulant laïque en éradiquant celles incompatibles avec l'histoire française? L'auteur souhaiterait-il instaurer une république chrétienne reprenant les mêmes méthodes de l'islamisation? Cela peut sembler extrême et je peux me tromper dans l'interprétation mais c'est ce que j'ai compris à la lecture de son livre.

 

Ce que l'auteur devrait comprendre, c'est que la France du passé est morte. La belle France est morte. Il ne faut pas sombrer dans la nostalgie d'une belle époque romanesque et chevaleresque mais se tourner vers l'avenir, comprendre le monde d'aujourd'hui pour éviter de rater son futur. Bien qu'il soit cultivé et amoureux de la littérature française, les mœurs et les besoins ont changé. La nécessité que représente la foi a diminué, à présent ce sont l'économie et le pouvoir d'achat qui sont devenus la priorité aussi bien pour les musulmans que pour le reste de la population.

 

Il est possible d'étudier le passé afin de comprendre les fondements de notre société et de notre culture mais il ne faut pas cadenasser l'histoire en refusant d'y incorporer les nouveautés. L'Histoire est une ligne en perpétuel mouvement et non un point fixe. Il est faisable de donner goût à la jeunesse pour la culture sans leur imposer comme seul centre d'intérêt.

 

Ce qu'il faut donc est la construction d'une nouvelle valeur commune basée sur le présent et l'avenir et non sur le passé. Cela s'appelle l'Etat dont chacun s'y retrouvera en tant que citoyen bénéficiant des mêmes droits et devoirs et en retour pourra jouir des libertés. Mais pour y parvenir, il faut d'abord trancher la question des frontières citées plus haut et pour cela, il faudra beaucoup de volonté. Comme pour la création d'un Islam français.

 

Oui, j'en suis persuadé. Il est tout à fait possible de concevoir un Islam français. Il existe bien un Islam saoudien, omanais, jordanien, indonésien et même chinois basé sur la tolérance au nom de la loyauté envers la République populaire et l'unité nationale. Il est plus facile de baisser les bras ou de ne pas les lever plutôt que d'essayer.

 

Pour conclure, il est facile de regarder l'Histoire, de la manipuler et de l'aduler pour se construire une bulle face aux problèmes actuels. Ceux qui restent dans le passé périront avec lui, l'Histoire est cruelle et ne laisse pas de place à ceux qui échouent à la comprendre dans son évolution constante. Pourquoi les jeunes ne veulent plus commémorer les morts ou mourir pour la patrie? Parce qu'ils ne veulent plus de la guerre, ils ne veulent pas connaitre les atrocités que l'histoire leur a montrées. Au contraire, ils souhaitent vivre dans un pays en paix, se distraire pour échapper à la morosité du quotidien et pouvoir satisfaire leurs besoins journaliers.

 

Vous pouvez lutter pour vos idéaux et changer le cours de l'Histoire en y laissant une marque indélébile en tant que défenseur des valeurs franco-chrétiennes face à l'Islam mais ne pas comprendre la mondialisation, le brassage ethnico-culturel apporté par le cosmopolitisme et la remise en question des anciennes puissances coloniales européennes, c'est nager à contre-courant sans vérifier l'intensité de la rivière.

 

L'Islam triomphera-t-il en Europe? Le Christianisme reviendra-t-il en force? Une nouvelle religion monothéiste émergera-t-elle dans les siècles à venir? Ou reconnaîtrons-nous le fascisme et le nazisme au nom de la défense des valeurs nationales? Seule l'Histoire nous le dira.

 

 

 

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