Mon métier ? Hum, et le tien ?

Source : Slate.fr
Source : Slate.fr

La logique capitaliste, qui anime la société dans laquelle nous nous trouvons, affiche un message de propagande qui vous collera jusqu'à la pension : l'Homme est fait pour le travail. C'est une évidence. Pour qu'un Etat fonctionne, chaque citoyen doit y mettre du sien, doit contribuer à l'économie et à sa puissance (ou à la survie si votre pays peut se faire anéantir en 24 heures). Ce principe est poussé jusqu'à punir ceux qui ne travaillent pas, pour des raisons personnelles ou à cause de la conjoncture économique ne permettant pas de postuler là où ils le souhaiteraient.

 

Mais le travail est aussi une source d'aberration. Il faut créer de l'emploi, faire lever le citoyen pour qu'il bosse du matin au soir afin qu'il gagne sa croûte et recommencer le lendemain pour qu'il puisse payer les taxes que nous, membres de la classe politique, lui imposons. La solution? Des emplois parfois dénués de sens, d'utilité, d'intérêt collectif.

 

Les jobs à la c... trop stupides pour exister

 

Pour écrire cet article, je me suis attardé sur des témoignages d'employés qui qualifient leur profession de perte de temps, de dévalorisation, d'ennui. Très loin du cliché du travailleur content d'avoir un emploi, relayé sur les sites où vous ne verrez que des personnes souriantes et impliquées dans leur fonction.

 

Ces emplois portent le nom de "bullshit jobs", jobs à la con en français, terme employé par l'anthropologue David Graeber dans son article "On the phenomenon of bullshit jobs"[1]. Selon l'auteur, la prédiction de Keynes sur l'évolution technologique permettant de diminuer le temps de travail à long-terme ne s'est par réalisée car certaines personnes prestent des heures pour ne rien faire (d'utile). Ce phénomène va aussi à l'encontre de la logique libérale qui privilégie les fonctions vitales pour réduire la masse salariale inutile et trop coûteuse. Mais qui sont les premiers virés? Regardez l'actualité, vous aurez la réponse. Il justifie cet illogisme par la valeur importante apportée au travail intensif simplifié mathématiquement par le nombre d'heures prestées et par la volonté politique de ne pas créer une population productive et heureuse jugée néfaste (il parle même de danger mortel!).

 

L'auteur reconnait aussi qu'il est difficile de définir un job à la con. C'est vrai. Tout est une question d'interprétation, il existe une différence entre l'image véhiculée et la réalité sur le terrain. Certains employés sont moqués pour ne rien faire alors que leur fonction ne s'arrête pas à la fermeture des locaux. De même des emplois nécessitent une haute qualification ou une grande expérience puis dévoilent leur côté obscur : ennui, impression de ne rien faire, de quoi saper le moral du plus endurci.

 

Cependant, rien n'est fait pour que ça change. Pourquoi? Les valeurs sont difficiles à déloger et sont entretenues par des croyances du chômeur profiteur ou de l'étranger pilleur qui volent sans scrupules les richesses produites par ceux qui travaillent durement pendant des heures car plus on bosse tard dans la journée, plus on est productif. Heure = productivité, l'équation qui résume trop facilement la plus-value. La classe politique a un rôle la dedans, pas seulement pour le contrôle de la société mais aussi pour le chômage car pour qu'une société fonctionne, il est préférable qu'un citoyen travaille pour ne rien faire plutôt qu'il ne fasse rien même s'il cherche un travail, que quelqu'un se touche la nouille devant son écran au bureau plutôt que devant la télé.

 

Les métiers néfastes mais valorisés

 

Il existe une autre catégorie d'emplois que je souhaiterais aborder. Ils font partis des bullshit jobs selon l'auteur mais je mets un cran au-dessus en considérant que non-seulement ils sont inutiles mais qu'ils mériteraient même de disparaître.

 

Parmi les emplois cités figurent les lobbyistes, ceux qui remplacent la démocratie par l'argent, les bulletins de vote par des chèques et le cerveau par un coffre en banque. Leur suppression serait bénéfique : la démocratie reprendrait son droit, les multinationales perdraient un levier d'influence et les centres de recherche (incluant les think tanks) retrouveraient leur fonction légitime d'informer et conseiller.

 

Un autre exemple ? Les spéculateurs, ceux qui achètent et vendent des titres pour gonfler les prix afin d'en tirer des bénéfices. Sauf que derrière ses transactions financières, il y a des populations entières qui souffrent de la montée du prix des denrées alimentaires. La récompense accordée aux affameurs? Une augmentation et des boni. Etre payé pour affamer le monde, trouvez-vous cela utile?

 

On peut même aller plus loin : la création de postes politiques et de secrétaires d'Etat pour caser des amis ou équilibrer le gouvernement lors de la formation d'une coalition. Pour le second cas, la Belgique est championne dans la matière.

 

Cependant, je ne suis pas tout à fait d'accord pour les avocats et les experts juristes. Le droit est complexe, trop pour le citoyen lambda. Il a des droits, il a le droit de les utiliser, il faut le lui dire. Ces métiers méritent d'être nuancés car il y a ceux qui défendent le droit des faibles et ceux qui sont payés pour les enfoncer davantage mais les blâmer ne sert à rien car chacun fait son métier. Même si certaines causes sont indéfendables, le droit c'est le droit et plutôt que de se lamenter, pensons à le changer.

 

Et demain, serais-je utile ?

 

L'analyse de Graeber est consternante : malgré l'évolution technologique, les employés travaillent encore longtemps et devraient encore travailler plus jusqu'au licenciement et tant pis si leur fonction était essentielle tant que la direction préserve les plus inutiles.

 

Les raisons évoquées sont certes correctes, je souhaiterais malgré tout y apporter mon avis sur l'influence des valeurs et des dirigeants politiques.

 

Le poids des valeurs ne doit être sous-estimé, le monde politique le rappelle chaque jour dans leurs débats et discours. Même si ici on ne parle pas d'identité, le travail représente une part importante dans la conscience humaine par le principe de la case à occuper. L'auteur justifie par l'étiquette de l'utilité de l'emploi. Je rajouterais aussi la valeur salariale qui tronque la réalité de la plus-value car elle résume la productivité aux heures prestées et l'importance du métier au salaire qui en découle. C'est un problème majeur pour la société parce que cela signifie qu'il est préférable de bosser pendant 35 heures dont 17 heures pour rien plutôt que de prester 20 heures de travaux intensifs, ou pire, privilégier un métier qui ne sert pas à grand chose car il rapporte beaucoup plutôt que de mettre en lumière les ouvriers qui travaillent durs pour un salaire faible tout en risquant le licenciement. Pour résumé : salaire = importance, heures prestées = productivité. Je ne suis pas le seul à être nul en économie mais contrairement aux autres prétentieux, je le dis en toute honnêteté.

 

Pour la politique, il est étonnant de considérer le citoyen heureux comme un danger mais il ne faut pas comparer un événement des années 60 à la morosité du XXIème siècle. D'autant que le bonheur des employés devient un facteur non-négligeable, bonheur = productivité (là, c'est prouvé), donc le domaine politique devrait au contraire privilégier une société heureuse pour limiter les congés maladies qui coûtent à la société. Cependant, chaque heure prestée est taxée, les heures supplémentaires sont surtaxées, ce qui signifie que le travailleur n'est pas le seul qui gagne plus lorsqu'il travaille plus. Il faut aussi inclure le chômage, donnée dérangeante pour un gouvernement lorsqu'elle ne diminue pas. Qu'importe que le travail ne soit pas amusant, tant qu'il bosse, ce n'est pas un chômeur donc le taux de chômage diminue. En fin de compte, la politique trouve un intérêt à maintenir des jobs à la cons.

 

Ne négligez pas l'importance des images : elles sont solides, difficiles à casser et occupent une place importante dans la société. Elles favorisent l'émergence et le maintien des jobs à la con et l'actualité le prouve encore : les emplois administratifs bien rémunérés mais pas tous indispensables sont maintenus, les ouvriers sont les premiers licenciés et les derniers bénéficiaires de la croissance économique.

 

Articles utilisés :

 

http://www.lemonde.fr/m-perso/article/2016/04/22/dans-l-enfer-des-jobs-a-la-con_4907069_4497916.html

http://tempsreel.nouvelobs.com/politique/reforme-code-travail-el-khomri/20160418.OBS8721/j-ai-un-job-a-la-con-neuf-salaries-racontent-leur-boulot-vide-de-sens.html



[1] GROABER David, On the phenomenon of bullshit jobs, http://strikemag.org/bullshit-jobs/

 

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